Comment la modification de la structure juridique organise la pénurie autour de l’activité travail temporaire
Voici les grands principes que semblent avoir appliqués nos dirigeants, à l’occasion de la modification de notre structure juridique :
- Confisquer les actifs rentables et les capitaux propres pour les isoler de l’activité de travail temporaire, et remonter ainsi la richesse pour l’actionnaire et les dirigeants dans la holding, hors d’atteinte des salariés que nous sommes.
- Transférer avec les salariés du travail temporaire les actifs peu rentables et/ou déficitaires, ainsi que les dettes, afin de faire supporter un maximum de charges aux salariés.
- Surévaluer les actifs transférés avec l’activité de travail temporaire, afin d’augmenter artificiellement la dette capitalistique de notre activité vis à vis de la holding.
En bref, la réorganisation juridique a semble-t-il maximisé artificiellement la richesse pour l’actionnaire et les dirigeants au niveau de la holding, et organisé la pénurie pour Manpower France. Plus grave, l’organisation mise en place semble viser à verrouiller et à prolonger cette inégalité de partage dans la durée.
Au final, cette dégradation économique profonde de notre société s’illustre à l’aide de quelques ratios comptables.
Notre autonomie financière et notre solvabilité ont été très fortement diminuées
- L’autonomie financière reflète la solidité de notre entreprise (capitaux propres / passif). La modification de la structure juridique l’a quasi diminuée de moitié, la passant de 45% à 25%. Dans le même temps, celle de la holding explosait à 100%. De plus, étant donné la qualité des actifs transférés (voir ci-après), on peut même considérer que notre autonomie financière est surévaluée.
- La solvabilité reflète la capacité de notre entreprise a assumer ses dettes (actifs / dettes). La modification de la structure juridique l’a fortement diminuée, de l’ordre de 20%, la passant d’un rapport de 2 à 1,6. Dans le même temps, celle de la holding explosait à 327,5. Là encore et pour les mêmes raisons, on peut aussi considérer que notre solvabilité est surévaluée.
Quelques explications
- L’activité travail temporaire privée des actifs qu’elle avait produits, c’est à dire de sa richesse
Alors que l’exercice de règles économiques équilibrées implique un partage des richesses produites entre : l’actionnaire, l’entreprise et les salariés,
l’activité de travail temporaire a été coupée des richesses qu’elle avait produites. En créant une filiale rassemblant l’activité de travail temporaire, il eut été logique que les éléments de l’entreprise se rapportant à cette activité l’accompagnent. Or, l’actionnaire a « oublié » lors de notre transfert, de nous accompagner avec la quote-part des actifs que notre activité avait produite : plus de 300 millions d’euros d’actifs nets ont été conservés au niveau de la holding, alors que la part de ces actifs résultant des autres activités que celle de travail temporaire est très réduite (cette part marginale résulte essentiellement des anciennes filiales étrangères).
On peut donc en déduire que trop peu d’actifs ont été basculés avec les personnels de travail temporaire lors du changement de structure juridique.
- Faire payer des charges par l’activité de travail temporaire, sur les richesses mêmes qu’elle avait produite.
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- Les immeubles et crédits-baux, de 12 millions d’euros, ont été conservés par la holding : Alors que l’entreprise et un certain nombre d’agences avaient déjà acheté leur locaux avec le fruit de leur travail, la nouvelle structure juridique les contraint à repayer une seconde fois leur immobilier à travers les loyers qu’elles doivent désormais payer à la holding. Cela s’appelle « avoir le beurre et l’argent du beurre ».
En ce domaine, nous pouvons faire confiance à holding pour asséner des loyers conséquents sur nos agences, puisque rappelez-vous que les frais d’enseigne ont été décuplés en quelques années (fois 10).
- Les immeubles et crédits-baux, de 12 millions d’euros, ont été conservés par la holding : Alors que l’entreprise et un certain nombre d’agences avaient déjà acheté leur locaux avec le fruit de leur travail, la nouvelle structure juridique les contraint à repayer une seconde fois leur immobilier à travers les loyers qu’elles doivent désormais payer à la holding. Cela s’appelle « avoir le beurre et l’argent du beurre ».
- Conserver les actifs productifs au niveau de l’actionnaire
Ont aussi été conservés par la holding :
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- Les titres de participation dans les filiales et les prêts et comptes courants entre Manpower France et ses filiales : Dans la mesure où les investissements dans les filiales se sont développés hors du champ de l’activité de travail temporaire, il peut apparaître légitime que ces éléments d’actifs ne nous aient pas accompagnés lors du changement de structure juridique. Inversement, les prêts dans ces filiales étrangères étant en provenance de notre activité, ils auraient légitimement dus nous accompagner.
- La créance sur la société Manpower Inc de 275 millions d’euros : Selon le même principe, ce prêt étant en provenance de notre activité, il aurait dû nous accompagner. Au delà de cette question, il est aussi légitime de s’interroger sur les conditions financières dans lesquelles ce prêt avait été accordé par notre société : garantissaient-elles son intérêt propre ?
- Les obligations remboursables en actions émises en 2003, de 316 millions d’euros : Idem, ces obligations s’apparentant à un prêt, elles auraient légitimement dû nous accompagner.
Au total, il semble que le déficit d’actif s’élève à près de 600 millions d’euros.
De plus, il se pose aussi un problème de qualité des actifs néanmoins transférés, c’est l’objet des deux points suivants.
Ce problème de qualité permet à la holding de nous faire porter le poids des actifs peu rentables, et de surévaluer notre dette vis à vis d’elle. Au final, cela lui permet d’augmenter artificiellement le flux financier qu’elle nous prélève. En clair, de faire de nous une « vache à lait ».
- Transfert de provisions sous-estimées, afin de surévaluer la valeur nette de l’entreprise et d’augmenter artificiellement la dette vis à vis de la holding
- Par exemple, plus de 3 millions d’euros de créances clients douteuses n’ont pas été provisionnées lors du transfert. Elles sont donc comptabilisées comme un apport de la holding, alors qu’il n’existe pas ! [1]
- Autre exemple, le plan social qui nous est annoncé ne se prépare pas en quelques mois, il fait forcément partie d’une stratégie de groupe à plus long terme. Or, ce type de plan est coûteux, il aurait donc dû venir en déduction de la valeur nette des actifs transférés.
- Transfert du passif en dettes, tous les capitaux propres étant conservés dans la holding
La constitution d’un passif en dettes est évidemment beaucoup plus lourd à porter que s’il s’agit de capitaux propres. Les dettes sont en effet destinées à être payées, a contrario des capitaux propres qui eux, appartiennent à l’entreprise ou aux actionnaires. Or, sur les plus de 650 millions d’euros de capitaux et de fonds propres attribués à la holding à l’occasion de la modification de structure juridique, seuls 50 avaient été apportés par l’actionnaire. En particulier, l’intégralité des 80 millions d’euros du résultat de l’année 2003 ont été conservés par la holding, alors que les salariés aussi avaient contribué à ce résultat.
Et ensuite ?
Notre démarche, à travers cette analyse économique sur laquelle nous travaillons encore, vise à deux objectifs :
- Nous apporter à nous, salariés, un minimum de connaissance sur le contexte économique de notre entreprise, et mettre nos dirigeants en position de devoir assumer leurs actes face aux réalités sociales de l’entreprise.
- Plus prosaïquement, à communiquer un minimum d’éléments économiques à l’ensemble des partenaires représentants du personnel, en particulier dans le cadre de l’action intersyndicale du CCE. Ce travail en amont permettra en effet de favoriser la définition du périmètre des expertises attendues dans le cadre de la procédure de droit d’alerte en cours de lancement.
Il appartiendra alors de vérifier et de préciser ces analyses dans le cadre de cette procédure, puis d’en requalifier juridiquement les conclusions.
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Nous remercions pour leur collaboration à ce dossier, les deux inspecteurs des finances spécialisés dans l’analyse des comptes des entreprises, qui nous ont aidés à mieux appréhender ces informations comptables.
Nous vous rappelons un avis favorable de l’ancien Comité Central d’Entreprise que la CFTC avait contesté, et dont les auteurs ne doivent pas être très fiers aujourd’hui :
« Le CCE émet un avis favorable sur le projet de modification des statuts. Cependant le manque de recul face aux éléments connus et analysés sur la mise en place de ce projet ne permet pas de savoir si cela répond aux intérêts de l’Entreprise Manpower France, ainsi qu’aux salariés, notamment sur les incertitudes liées aux conséquences sociales. »
Maintenant nous en connaissons les conséquences ! ! !
Voir aussi :
- notre article postérieur sur les redressements fiscaux de Manpower France concernant la redevance de marque, et le rôle de la CFTC Manpower en défense de la participation au bénéfices des salariés ;
- notre article de 2008 sur l’utilisation des moyens de Manpower France pour développer puis transférer des activités à haute valeur ajoutée vers d’autres filiales.